uand on parcourt les décrets du Concile, on est frappé de la rareté d'évocation du projet de réforme du missel alors que le problème revêt une importance et une urgence capitale pour l'unité de la foi elle-même. Les Pères ont abanonné cette tâche au Pape, le dernier jour du Concile.

Il faut aller voir les actes, et les notifications des commissions, pour comprendre combien cette question préoccupait les Pères, et comment au-delà du concile lui-même, la volonté de réforme était un souhait de l'Eglise toute entière.

Regroupons en 5 étapes ce qui relève du missel et de la messe au Concile de Trente:

1-Une deuxième « classe » (comité) regroupant l'expression de certains Pères le 1er Mars 1546 -dénonciation des abus et introductions diverses dans les missels -demande d'unification pour expurger les rituels -une petite minorité de Pères demande l'adoption d'un missel pour toute l'Eglise.

C'est à l'occasion de cette « classe » (comités) que l'évêque de Pienza, Alexandre Piccolomini, demande qu'on supprime du Missel des expressions incompréhensibles telles que « Kyrie Eleison », « Deus Sabaoth », « Alleluia » et propose une commission pour corriger les mots de ce genre...

2-On a connaissance d'une 1ère commission de novembre 1547 ayant pour but d'établir le catalogue des abus dans la célébration de la messe mais les actes du concile restent muets sur son travail. Entre temps les appels à la réforme et à l'unification émanent de partout déployant une palette de souhait d'uniformisation plus ou moins grande. Projets des Pères italiens, espagnols, allemands et français furent présentés au légat en parallèle aux débats officiels.
3-Les travaux de la XXIIème session sont de loin les plus importants au regard de la messe; la commission préparatoire dont nous avons les actes, dresse un catalogue « des abus concernant le sacrifice de la messe ». La remise du mémoire fait très clairement appel à l'unification de la liturgie tout en laissant place aux coutumes légitimes des provinces.

Ce projet jugé trop long et fastidieux ne fût pas débattu en Congrégation générale mais on en retint un compendium. Celui-ci fut débattu puis voté le 15 septembre 1562 à la suite du décret sur la messe, sous le titre : « ce que l'on doit observer et éviter dans la célabration de la messe ».

Enfin, pour ne laisser aucun lieu à la superstition, (les évêques) ordonneront par mandement exprés, sous les peines qu'ils jugeront à propos, que les Prestres ne disent la Messe qu'aux heures convenables ; & qu'ils n'admettent dans la célébration de la Messe aucunes autres pratiques, cérémonies, ni priéres, que celles qui ont esté approuvées par l'Eglise, & receûës par un usage loûable & fréquent. Ils aboliront aussi entierement dans leurs Eglises l'observation d'un certain nombre de Messes, & de lumieres, qui a esté inventée par une maniere de superstition, plûtost que par un esprit de véritable piété ...

Concile de Trente Session XXII, Décret touchant les choses qu'il faut observer et éviter pendant la messe.

4-Une source atteste l'existence d'une commission de juillet 1563 qui aurait pour objet la réforme du missel, mais on peut douter de l'existence de cette commission

5-Le denier jour du concile: à la XXVème session le 4 décembre 1563, on parle enfin du bréviaire et du missel pour en léguer aux pontifes la tâche de leur confection ainsi que celle du catéchisme.
L'index des livres interdits, le catéchisme, le bréviaire, le missel, la Vulgate, sont autant de chantiers commencés ou
évoqués à Trente, qui ont vu le jour après le concile.
Quelques raisons expliquent la nécessité d'en terminer avec le concile:
-sa longueur, les évêques souhaitant rentrer dans leur diocèse (en particulier le Cardinal de Loraine et les Pères français), ont-il « démissionné » de la tâche collégiale qui leur était assignée dans la réforme du missel?
-le Pape gravement malade, on veut éviter d'associer les Pères du Concile à un nouveau conclave.
Les Pères de Trente s'étaient en très grande majorité exprimés pour une unité dans la réforme des bréviaires et missels, sans toutefois renoncer à la prérogative qui était la leur, la possibilité d'une certaine souplesse locale de la liturgie de la messe.

Signer un blanc-seing au pape à la fin du concile, c'était bien entendu s'exposer à une tentative de centralisation et d'uniformisation de la part du souverain pontife, ce qui ne manqua pas d'arriver.

Le missel a été promulgué par la bulle « Quo Primum tempore » du 14 juillet dans laquelle Pie V nous explique qu'il a dû agir dans l'urgence pour mettre fin à une situation de chaos.Par une lettre de Charles Boromée au Cardinal Hosius, on apprend que Pie IV son prédécesseur préparait déjà une édition d'un missel. Sa mort en a empêché la publication. Pie V ne reprit pas le projet et convoqua lui-même une commission.

"Nous avons estimé devoir confier la charge d'éditer le Missel lui-même à des savants choisis; et, de fait, ce sont eux qui, après avoir soigneusement rassemblé tous les manuscrits, non seulement les anciens de Notre Bibliothèque Vaticane, mais aussi d'autres recherchés de tous les côtés, corrigés et exempts d'altération, ainsi que les décisions des Anciens et les écrits d'auteurs estimés qui nous ont laissé des documents relatifs à l'organisation de ces mêmes rites, ont rétabli le Missel lui-même conformément à la règle antique et aux rites des Saints Pères. "

Pie V:Bulle «Quo Primum Tempore»

Le pape présente le travail de cette commission comme un véritable travail archéologique, mais il ne faut pas faire d'anachronisme. La commission réunie n'avait pas la possibilité scientifique d'effectuer une recherche très poussée dans l'histoire de la liturgie, aussi n'est-il pas étonnant de retrouver à quelques différences près, notre missel romain de 1474.
Ces différences tiennent en: -un catalogue de rubriques extrêmement importantes puisqu'elles allaient être un facteur supplémentaire de la stabilité liturgique.
-l'élévation y est ajoutée
-l' « ite missa est » et le dernier évangile. En promulgant le missel de manière uniforme et rigide, Pie V outrepasse le devoir que lui avaient légué les Pères du concile puisque qu'il fixe la stricte observance du missel et n'autorise que les liturgies anciennes de plus de 200 ans; c'est à ce titre que pourront demeurer certains rites lyonnais, ambroisiens, jusque au XIXème siècle. Cette uniformisation a été favorisée par plusieurs éléménts: -une pression importante du pouvoir pontifical sur l'ensemble de la chrétienté par la teneur de certains textes eux-mêmes à commencer par la bulle :
"Par notre présente constitution, qui est valable à perpétuité, Nous avons décidé et Nous ordonnons, sous peine de notre malédiction, que pour toutes les autres églises précitées l'usage de leurs missels propres soit retiré et absolument et totalement rejeté et que jamais rien ne soit ajouté, retranché ou modifié à Notre Missel que nous venons d'éditer. Nous avons décidé rigoureusement pour l'ensemble et pour chacune des églises énumérées ci-dessus, pour les Patriarches, les Administrateurs et pour toutes autres personnes revêtues de quelque dignité ecclésiastique, fussent-ils même cardinaux de la Sainte Eglise Romaine ou aient tout autre grade ou prééminence quelconque, qu'ils devront, en vertu de la sainte obéissance, abandonner à l'avenir et rejeter entièrement tous les autres principes et rites, si anciens fussent-ils, provenant des autres missels dont ils avaient jusqu'ici l'habitude de se servir, et qu'ils devront chanter ou dire la Messe suivant le rite, la manière et la règle que Nous enseignons par ce Missel et qu'ils ne pourront se permettre d'ajouter, dans la célébration de la Messe, d'autres cérémonies ou de réciter d'autres prières que celles contenues dans ce Missel." Pie V : Bulle « Quo Primum Tempore ». -le rôle très important du contrôle de l'imprimerie de ce missel par Pie V lui-même, qui confie à Paul Manuce, imprimeur romain, le monopole de l'impression. Cette centralisation absolue était d'autant plus exorbitante que les églises devaient se procurer le missel dans les 6 mois. -l'abandon progressif spontané et parfois volontaire des rituels locaux pour des raisons financières (impression des manuscrits couteuse), volonté de réaliser une unité dans une confusion touchant bien souvent les églises locales elles-mêmes, la clarté et la cohésion du nouveau missel aidant.

i on s'en tenait à une observation de surface, on pourrait dire que la messe de Pie V n'est pas une messe tridentine car elle n'émane pas directement de la volonté des Pères du Concile, court-circuités par l'autorité pontificale. Nous pourrions également dire que ce missel puise ses racines au coeur même du moyen-âge et que par conséquent il n'a rien de tridentin.

Mais à y regarder de plus près, le missel de Saint Pie V est un instrument qui s'adapte parfaitement à la problématique présente dans l'Eglise bien avant le concile. Sa promulgation comme missel exclusif permet une réforme dans l'Eglise catholique et du même coup une réponse au protestantisme.

A ce titre nous dirions du missel qu'il est un instrument typique de la réforme catholique, une réponse en réaction. Alain Tallon citant Wolfgang Reinhardt dira de Trente qu'il est un « cas exemplaire de rénovation conservatrice ». Nous en avons dans le missel une parfaite illustration. On fait du neuf avec de l'ancien, mais en l'approfondissant et l'accentuant. « Le concile montre ici sa méthode favorite : répondre à des aspirations nouvelles en revivifiant de vieilles institutions, voire en les ressuscitant, quitte à les modifier ». Alain Tallon, Le Concile de Trente p.70.
Enfin, face à une quasi démission de la collegialité conciliaire le missel de Pie V se présente parmi d'autres éléments mis en place par les papes post-tridentins, comme un instrument indéniable de centralisation romaine, c'est une victoire du pouvoir du pape sur la collégialité représentée à Trente.
« Les décrets du concile ne prennent de l'importance que par cette prise en main pontificale, qui se traduit aussi par une centralisation bien éloignée de la volonté des pères conciliaires ». Alain Tallon, Le Concile de Trente p.83.
La Messe de Saint Pie V est donc bien une messe tridentine, au sens où tout ce qui fut tridentin finit par être réapproprié par le pouvoir romain.
Ainsi, le motu proprio annoncé par Benoit XVI pour la restauration du rite de Saint Pie V, ne pose pas uniquement un problème de contenu de la liturgie, (encore que cette messe appartienne clairement à un autre âge), mais il fait apparaître une question ecclésiologique déjà présente à Trente : le pape intervient directement dans ce qui relevait jusqu'à présent de la discrétion de l'ordinaire du lieu (l'évêque).
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Note:
1La réforme grégorienne comporte trois projets principaux:
-indépendance du clergé; les laïcs ne peuvent plus intervenir dans les nominations.
-réforme du clergé : instruction et imposition du célibat ecclésiastique.
-mise en place d'une structure centralisée autour de la papauté.