L'exposé suivant a été présenté suite à un cycle d'histoire à l'Institut catholique de Paris en Décembre 2006. Son titre résume son contenu et veut apporter une modeste contribution historique et non liturgique au débat qui accompagne le retour de la messe dite de Saint Pie V. Cette liturgie n'est en effet ni celle du concile de Trente, ni celle de Saint Pie V...
romulguée par la bulle « Quo Primum » le 14 juillet 1570, la messe dite "de saint Pie V" pose deux types de problèmes. Ces questions sont aujourd'hui ravivées par le très probable motu proprio de Benoît XVI d'élargir la possibilité de célébrer la messe selon le rituel de 1962 (dernier état de la messe dite « de Saint Pie V »). Nous pourrions nous attacher à faire une relecture historique de ce missel abandonné par la réforme liturgique du Concile Vatican II, et à débattre de son adéquation à la célébration dans une Eglise d'aujourd'hui. Nous nous attacherions en ce cas davantage au contenu, accomplissant par là un travail d'ordre liturgique. Nous avons cependant choisi de traiter un second type de problèmes qui ne sera pas sans implications pour la problématique d'aujourd'hui et les questions d'opportunité de remettre en valeur le missel de 1962:
Considérant le contexte historique dans lequel cette messe s'est développée et imposée, nous nous interrogerons sur l'opportunité de ses différentes appellations : Missel de Saint-Pie V, ou encore Missel du Concile de Trente. Nous verrons que cela ne va pas de soi et que l'appellation même de messe tridentine donnée à ce rituel pose problème.

Dans cet exposé, nous établirons une brève archéologie d'un missel qui puise ses racines au coeur même du Moyen-Age, avant de montrer comment il remplit parfaitement son rôle d'instrument de contre-réforme face à la problématique avancée entre autres par le protestantisme, puis nous examinerons dans quelle mesure le missel promulgué par Pie V est un instrument parfait de Réforme catholique parce qu'il s'impose d'autorité mais qu'il répond aussi à une attente. La conclusion tentera de répondre au problème que nous avons posé: le missel dit de Saint Pie V est un exemple emblématique de ce que fut la Contre Réforme catholique issue de Trente mais ce n'est ni la messe du concile de Trente, ni celle de Saint Pie V.

vant le concile de Trente, aussi loin qu'on puisse remonter dans l'histoire du Moyen-Age, c'est la diversité liturgique notamment en matière de liturgie eucharistique qui s'impose. Diversité est d'abord synonyme de liberté et de richesse. Chaque diocèse, chaque ordre religieux, possède ses sacramentaires et cérémoniaux qui sont bien souvent placés sous l'autorité des évêques.

Jusqu'au XIème siècle au moins, la messe se dit à l'aide d'un sacramentaire. Au XIIIème siècle, le missel apparaît pour tenter de canaliser une diversité grandissante qui va s'accentuer avec le grand schisme d'Orient, l'exil de la papauté en Avignon et la Renaissance . C'est ainsi que naissent des rites qui connaîtront encore au-delà du concile de Trente une grande renommée et qui existent encore de nos jours: rite ambroisien de l'Eglise de Milan, liturgie mozarabe des chrétiens vivant en Espagne (messe wisigothe), rite gallican en France, rite lyonnais, rite dominicain, rite romain, rite cartusien...

Pour des raisons politiques d'alliance avec le Saint-Siège, Charlemagne contribua à la diffusion des usages liturgiques romains, en officialisant le sacramentaire romain appelé Hadrianum, il sera presque partout en usage à la fin du XIème siècle.

En 1074, Grégoire VII, auteur de la réforme grégorienne1, demande aux évêques espagnols d'abandonner le rite mozarabe, soit disant source d'hérésie, au profit du rite romain. Le concile de Latran V verra lui aussi naître des demandes d'unification de la part des pères, et de nombreuses initiatives de conciles provinciaux tels que Bourges en 1529, les synodes de Sens et Paris (1528) tenteront de mettre en place des systèmes de contrôle de l'impression des missel et de l'unification provinciale de la liturgie. L'évêque de Vienne en 1543 adressera un mémoire à Paul III demandant l'unification romaine du missel sans toutefois exiger la disparition des autres rites particuliers.

Les papes au seuil du Concile de Trente, favoriseront également trois grandes tentatives d'unification liturgique.

On peut difficilement comprendre comment évolue la messe de la période gothique si l'on n'a pas présent à l'esprit les changements spectaculaires qui s'effectuèrent dans la perception que le peuple avait de l'Eucharistie ainsi que la place que la Réforme grégorienne avait faite à la personne du prêtre célébrant, soulignant ainsi le pouvoir sacré dont il était investi.

Les débats théologiques de la période scolastique allaient également élaborer une théologie de plus en plus pointue de la présence réelle dans l'hostie qui allait avoir une grande influence sur la liturgie, avec l'apparition notamment de l'élévation

La période gothique est une période de sacralisation au sens de séparation : séparation y compris géographique du peuple et des clercs par l'établissement des jubés, séparation ontologique des laïcs et des prêtres par leur fonction sacerdotale de rendre présent Dieu dans l'hostie.

Pouvoir sacré du prêtre et sacralisation de la présence réelle du Christ dans l'hostie allaient définitivement orienter laliturgie vers une conception uniquement sacrificielle de la messe.

La messe gothique devient un spectacle, le spectacle du sacrifice du Christ renouvelé et rendu présent dans l'Eucharistie, qui fait de celle-ci une véritable théophanie à laquelle le pleuple n'est que passivement associé.

Evoquons ici les célèbres représentations de la messe de Saint-Grégoire, nombreuses dans l'iconographie religieuse de cette toute fin de Moyen-Age, dont nous avons choisi un exemple (voir reproduction ci-contre), provenant du musée des Jacobins à Auch : Il s'agit d'une mosaïque réalisée en 1539 au Mexique selon des techniques ancestrales aztèques en plume, sous la direction des moines franciscains (nous verrons l'importance de ceux-ci pour la messe promulguée par Pie V).

L'oeuvre représente au moment de la consécration, le Christ apparaîssant au pape Grégoire le Grand sous les traits de l'homme des douleurs avec les instruments et figures de la passion. Dans cette théatralisation liturgique, l'hostie elle-même revêt un pouvoir miraculeux .

On veut voir l'hostie à l'élévation, on fait le tour des églises pour l'apercevoir le plus grand nombre de fois, on attribue à sa simple vision des vertus miraculeuses etc... déplaçant ainsi la messe vers la dévotion populaire autour du saint-sacrement, comme si le peuple des fidèles voulait s'approprier à nouveau quelque chose qu'il avait perdu dans la séparation.

« Gertrude reçut cette lumière : chaque fois que l'homme regarde avec amour et désir la sainte hostie, qui contient sacramentellement le Corps du Christ, chaque fois il augmente ses mérites pour le ciel; En effet, dans la vision de Dieu, il goûtera autant de délices spéciales qu'il aura de fois contemplé sur la terre le corps du Christ ou désiré au moins le voir. »
Révélations de Sainte Gertrude de Helfta (1256-1301) livre 4, ch.25. La diversité liturgique qui fleurit à la période gothique va donner lieu à des abus qui seront de plus en plus insupportables à la veille du Concile de Trente :
Le principal était la multiplication des messes votives très populaires (ex de la messe des cinq plaies du Christ ou la messe des douleurs et des joies de Notre-Dame), ou des messes destinées à solliciter une protection particulière: La messe de Clément VI de 1348 contre la peste noire ad mortalitatem evitandam, la messe contra calculum contre la maladie de la pierre, tant redoutée, la messe contre la vérole contra morbum. Existaient aussi les messes pour les défunts, et des séries de messes de toutes sortes, des messes gigognes, qui s'emboîtaient n'attendant pas la fin de la première pour commencer la seconde. Des messes en l'honneur de saints patrons de toute sortes supplantent le propre du temps liturgique.
Plusieurs messes étaient souvent célébrées dans une même Eglise dans une liturgie différente, malgré les tentatives infructueuses de certains pasteurs pour unifier les missels (Exemple de Nicolas de Cues évêque de Brixen 1455).

« J'étais une fois à Saint-Germain en Laye, où je remarquai sept ou huit prêtres qui dirent tous la messe différemment; l'un faisait d'une façon, l'autre d'une autre : c'était une variété digne de larmes. Or sus, Dieu soit béni de ce qu'il plaît à sa divine bonté remédier peu à peu à ce grand désordre. »

Vincent de Paul : Conférence du 23 mai 1659, Paris, Gabalda 1924.
Parfois des prêtres composent eux-mêmes des messes. Ainsi le témoignage de Jean de Varennes, curé de Saint-Lié dans le diocèse de Reims, qui compile quatre messe « avec l'aide de la grâce divine » à la fin du XIVème siècle.
A cela s'ajoutent des compositions de préfaces au contenu légendaire, des missels surchargés de prières et de cantiques divers, quand le prêtre n'entreprend pas de son chef la réforme du missel jusqu'à la suppression du canon !
1474 est la date de première impression du missel de la curie romaine bien plus ancien puisque nous en trouvons des traces manuscrites dès le IX ème siècle. Il servira en très grande partie de base d'élaboration à la commission commanditée par Pie V pour élaborer le missel.

Au départ, il différait de celui du diocèse de Rome ( liturgie romaine). Avec le bréviaire, plus réduit et plus souple, il était plus facile d'usage lors des déplacements nombreux de la Curie, la cour papale.

En 1223, François d'Assise adopte missel, bréviaire et ordo de la curie en vertu de l'allégeance qu'il voulu faire au pape. Ces livres liturgiques ont donc profité du formidable essor de l'ordre franciscain, passant de 30 000 religieux à la fin du XIIIème siècle, à 60 000 au début du XVIème. Les papes tels que Grégoire IX en 1241 ou Nicolas III en favorise la diffusion . De la curie, il devient franciscain pour être adopté par l'ensemble de l'église de Rome puis d'Avignon, et atteindre une popularité qui feront de lui avec le bréviaire, la base des livres liturgiques de la chrétienté, sans toutefois faire disparaître les autres rites.

uther remet en cause le caractère exclusivement sacrificiel de la messe gothique telle que nous l'avons vue dépeinte tout à l'heure : « La messe n'est pas un sacrifice, ni une oblation pour nos péchés; elle est seulement la commémoration du sacrifice accompli sur la croix. C'est métaphoriquement que les Pères ont pu l'appeler sacrifice : elle ne l'est ni proprement ni en vérité; elle est simplement le testament et la promesse de la rémission des péchés. Luther, Confession d'Augsburg.

Sur la forme aussi bien que dans le fond, nous savons que la critique de Luther est radicale. Dénonciation des liturgies grandioses et de la pompe, volonté de célébrer dans une langue qui peut être comprise, communion sous les deux espèces; autant d'éléments auquel s'opposera le Concile de Trente pour le simple fait que leur assertion émanait des protestants

« Dans la célébration des messes, toutes les cérémonies, vêtements et gestes extérieurs sont plutôt des dérisions de l'impiété que des honneurs pieux. Et, comme la messe du Christ fut fort simple, ainsi plus la messe est semblable et voisine de cette messe, la première de toutes, et plus elle est chrétienne. »

Luther : De Sacramento Panis

Le concile de Trente et plus tard la messe promulguée par Pie V ne cherchera pas un retour à l'équilibre qui engloberait toutes les dimensions de la messe : sacrifice, mémorial, acte communautaire; il s'inscrira bien plutôt en réaction au protestantisme, en réaffirmant des éléments théologiques et liturgiques antérieurs.

A l'assertion : « La messe n'est pas un sacrifice », le concile de Trente répond par un bouclier d'anathèmes. Voir la XXIIème session du 17 septembre 1562 : Doctrine sur le Très Saint Sacrifice de la Messe et le Décret disciplinaire qui suit.
Le Concile réaffirme en la précisant, la conception du sacerdoce issue de la réforme grégorienne : le Prêtre doit se distinguer du laïc et être son exemple par son comportement mais aussi par son habit, avec instauration de l'obligation de porter l'habit écclésiastique. Cette conception de rupture réaffirmée sera très nettement mise en application dans la messe de Saint Pie V, qui est comme nous l'avons dit une messe de séparation.
« Les Evesques avertiront donc les Ecclésiastiques, de quelque rang qu'ils soient, de montrer le chemin au Peuple qui leur est commis, par une vie éxemplaire, leurs paroles, & leur doctrine ; se souvenant de ce qui est écrit : Soyez Saints, parce que je suis Saint (Levit. 19. 2.) ; & prenant garde ussi suivant la parole de l'Apostre, de ne donner à personne aucun sujet de scandale (2. Cor. 6. 3.), afin que leur Ministere ne souffre point d'atteinte, mais qu'ils se fassent voir en toutes rencontres, comme de véritables Ministres de Dieu ; de peur que le mot du Prophete ne s'accomplisse en eux : Les Prestres de Dieu souïllent les lieux Saints, & rejettent la Loy (Ezech. 22. 26.) » Concile de Trente : Session XIV – Décret de Réformation, Introduction, 25 novembre 1551.
uand on parcourt les décrets du Concile, on est frappé de la rareté d'évocation du projet de réforme du missel alors que le problème revêt une importance et une urgence capitale pour l'unité de la foi elle-même. Les Pères ont abanonné cette tâche au Pape, le dernier jour du Concile.

Il faut aller voir les actes, et les notifications des commissions, pour comprendre combien cette question préoccupait les Pères, et comment au-delà du concile lui-même, la volonté de réforme était un souhait de l'Eglise toute entière.

Regroupons en 5 étapes ce qui relève du missel et de la messe au Concile de Trente:

1-Une deuxième « classe » (comité) regroupant l'expression de certains Pères le 1er Mars 1546 -dénonciation des abus et introductions diverses dans les missels -demande d'unification pour expurger les rituels -une petite minorité de Pères demande l'adoption d'un missel pour toute l'Eglise.

C'est à l'occasion de cette « classe » (comités) que l'évêque de Pienza, Alexandre Piccolomini, demande qu'on supprime du Missel des expressions incompréhensibles telles que « Kyrie Eleison », « Deus Sabaoth », « Alleluia » et propose une commission pour corriger les mots de ce genre...

2-On a connaissance d'une 1ère commission de novembre 1547 ayant pour but d'établir le catalogue des abus dans la célébration de la messe mais les actes du concile restent muets sur son travail. Entre temps les appels à la réforme et à l'unification émanent de partout déployant une palette de souhait d'uniformisation plus ou moins grande. Projets des Pères italiens, espagnols, allemands et français furent présentés au légat en parallèle aux débats officiels.
3-Les travaux de la XXIIème session sont de loin les plus importants au regard de la messe; la commission préparatoire dont nous avons les actes, dresse un catalogue « des abus concernant le sacrifice de la messe ». La remise du mémoire fait très clairement appel à l'unification de la liturgie tout en laissant place aux coutumes légitimes des provinces.

Ce projet jugé trop long et fastidieux ne fût pas débattu en Congrégation générale mais on en retint un compendium. Celui-ci fut débattu puis voté le 15 septembre 1562 à la suite du décret sur la messe, sous le titre : « ce que l'on doit observer et éviter dans la célabration de la messe ».

Enfin, pour ne laisser aucun lieu à la superstition, (les évêques) ordonneront par mandement exprés, sous les peines qu'ils jugeront à propos, que les Prestres ne disent la Messe qu'aux heures convenables ; & qu'ils n'admettent dans la célébration de la Messe aucunes autres pratiques, cérémonies, ni priéres, que celles qui ont esté approuvées par l'Eglise, & receûës par un usage loûable & fréquent. Ils aboliront aussi entierement dans leurs Eglises l'observation d'un certain nombre de Messes, & de lumieres, qui a esté inventée par une maniere de superstition, plûtost que par un esprit de véritable piété ...

Concile de Trente Session XXII, Décret touchant les choses qu'il faut observer et éviter pendant la messe.

4-Une source atteste l'existence d'une commission de juillet 1563 qui aurait pour objet la réforme du missel, mais on peut douter de l'existence de cette commission

5-Le denier jour du concile: à la XXVème session le 4 décembre 1563, on parle enfin du bréviaire et du missel pour en léguer aux pontifes la tâche de leur confection ainsi que celle du catéchisme.
L'index des livres interdits, le catéchisme, le bréviaire, le missel, la Vulgate, sont autant de chantiers commencés ou
évoqués à Trente, qui ont vu le jour après le concile.
Quelques raisons expliquent la nécessité d'en terminer avec le concile:
-sa longueur, les évêques souhaitant rentrer dans leur diocèse (en particulier le Cardinal de Loraine et les Pères français), ont-il « démissionné » de la tâche collégiale qui leur était assignée dans la réforme du missel?
-le Pape gravement malade, on veut éviter d'associer les Pères du Concile à un nouveau conclave.
Les Pères de Trente s'étaient en très grande majorité exprimés pour une unité dans la réforme des bréviaires et missels, sans toutefois renoncer à la prérogative qui était la leur, la possibilité d'une certaine souplesse locale de la liturgie de la messe.

Signer un blanc-seing au pape à la fin du concile, c'était bien entendu s'exposer à une tentative de centralisation et d'uniformisation de la part du souverain pontife, ce qui ne manqua pas d'arriver.

Le missel a été promulgué par la bulle « Quo Primum tempore » du 14 juillet dans laquelle Pie V nous explique qu'il a dû agir dans l'urgence pour mettre fin à une situation de chaos.Par une lettre de Charles Boromée au Cardinal Hosius, on apprend que Pie IV son prédécesseur préparait déjà une édition d'un missel. Sa mort en a empêché la publication. Pie V ne reprit pas le projet et convoqua lui-même une commission.

"Nous avons estimé devoir confier la charge d'éditer le Missel lui-même à des savants choisis; et, de fait, ce sont eux qui, après avoir soigneusement rassemblé tous les manuscrits, non seulement les anciens de Notre Bibliothèque Vaticane, mais aussi d'autres recherchés de tous les côtés, corrigés et exempts d'altération, ainsi que les décisions des Anciens et les écrits d'auteurs estimés qui nous ont laissé des documents relatifs à l'organisation de ces mêmes rites, ont rétabli le Missel lui-même conformément à la règle antique et aux rites des Saints Pères. "

Pie V:Bulle «Quo Primum Tempore»

Le pape présente le travail de cette commission comme un véritable travail archéologique, mais il ne faut pas faire d'anachronisme. La commission réunie n'avait pas la possibilité scientifique d'effectuer une recherche très poussée dans l'histoire de la liturgie, aussi n'est-il pas étonnant de retrouver à quelques différences près, notre missel romain de 1474.
Ces différences tiennent en: -un catalogue de rubriques extrêmement importantes puisqu'elles allaient être un facteur supplémentaire de la stabilité liturgique.
-l'élévation y est ajoutée
-l' « ite missa est » et le dernier évangile. En promulgant le missel de manière uniforme et rigide, Pie V outrepasse le devoir que lui avaient légué les Pères du concile puisque qu'il fixe la stricte observance du missel et n'autorise que les liturgies anciennes de plus de 200 ans; c'est à ce titre que pourront demeurer certains rites lyonnais, ambroisiens, jusque au XIXème siècle. Cette uniformisation a été favorisée par plusieurs éléménts: -une pression importante du pouvoir pontifical sur l'ensemble de la chrétienté par la teneur de certains textes eux-mêmes à commencer par la bulle :
"Par notre présente constitution, qui est valable à perpétuité, Nous avons décidé et Nous ordonnons, sous peine de notre malédiction, que pour toutes les autres églises précitées l'usage de leurs missels propres soit retiré et absolument et totalement rejeté et que jamais rien ne soit ajouté, retranché ou modifié à Notre Missel que nous venons d'éditer. Nous avons décidé rigoureusement pour l'ensemble et pour chacune des églises énumérées ci-dessus, pour les Patriarches, les Administrateurs et pour toutes autres personnes revêtues de quelque dignité ecclésiastique, fussent-ils même cardinaux de la Sainte Eglise Romaine ou aient tout autre grade ou prééminence quelconque, qu'ils devront, en vertu de la sainte obéissance, abandonner à l'avenir et rejeter entièrement tous les autres principes et rites, si anciens fussent-ils, provenant des autres missels dont ils avaient jusqu'ici l'habitude de se servir, et qu'ils devront chanter ou dire la Messe suivant le rite, la manière et la règle que Nous enseignons par ce Missel et qu'ils ne pourront se permettre d'ajouter, dans la célébration de la Messe, d'autres cérémonies ou de réciter d'autres prières que celles contenues dans ce Missel." Pie V : Bulle « Quo Primum Tempore ». -le rôle très important du contrôle de l'imprimerie de ce missel par Pie V lui-même, qui confie à Paul Manuce, imprimeur romain, le monopole de l'impression. Cette centralisation absolue était d'autant plus exorbitante que les églises devaient se procurer le missel dans les 6 mois. -l'abandon progressif spontané et parfois volontaire des rituels locaux pour des raisons financières (impression des manuscrits couteuse), volonté de réaliser une unité dans une confusion touchant bien souvent les églises locales elles-mêmes, la clarté et la cohésion du nouveau missel aidant.

i on s'en tenait à une observation de surface, on pourrait dire que la messe de Pie V n'est pas une messe tridentine car elle n'émane pas directement de la volonté des Pères du Concile, court-circuités par l'autorité pontificale. Nous pourrions également dire que ce missel puise ses racines au coeur même du moyen-âge et que par conséquent il n'a rien de tridentin.

Mais à y regarder de plus près, le missel de Saint Pie V est un instrument qui s'adapte parfaitement à la problématique présente dans l'Eglise bien avant le concile. Sa promulgation comme missel exclusif permet une réforme dans l'Eglise catholique et du même coup une réponse au protestantisme.

A ce titre nous dirions du missel qu'il est un instrument typique de la réforme catholique, une réponse en réaction. Alain Tallon citant Wolfgang Reinhardt dira de Trente qu'il est un « cas exemplaire de rénovation conservatrice ». Nous en avons dans le missel une parfaite illustration. On fait du neuf avec de l'ancien, mais en l'approfondissant et l'accentuant. « Le concile montre ici sa méthode favorite : répondre à des aspirations nouvelles en revivifiant de vieilles institutions, voire en les ressuscitant, quitte à les modifier ». Alain Tallon, Le Concile de Trente p.70.
Enfin, face à une quasi démission de la collegialité conciliaire le missel de Pie V se présente parmi d'autres éléments mis en place par les papes post-tridentins, comme un instrument indéniable de centralisation romaine, c'est une victoire du pouvoir du pape sur la collégialité représentée à Trente.
« Les décrets du concile ne prennent de l'importance que par cette prise en main pontificale, qui se traduit aussi par une centralisation bien éloignée de la volonté des pères conciliaires ». Alain Tallon, Le Concile de Trente p.83.
La Messe de Saint Pie V est donc bien une messe tridentine, au sens où tout ce qui fut tridentin finit par être réapproprié par le pouvoir romain.
Ainsi, le motu proprio annoncé par Benoit XVI pour la restauration du rite de Saint Pie V, ne pose pas uniquement un problème de contenu de la liturgie, (encore que cette messe appartienne clairement à un autre âge), mais il fait apparaître une question ecclésiologique déjà présente à Trente : le pape intervient directement dans ce qui relevait jusqu'à présent de la discrétion de l'ordinaire du lieu (l'évêque).
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Note:
1La réforme grégorienne comporte trois projets principaux:
-indépendance du clergé; les laïcs ne peuvent plus intervenir dans les nominations.
-réforme du clergé : instruction et imposition du célibat ecclésiastique.
-mise en place d'une structure centralisée autour de la papauté.