En guise de réponse à Monsieur Jean-Claude Guillebaud


Le hasard du calendrier veut que soit projeté sur les écrans le film "Lincoln" de Steven Spielberg, qui tout en n'étant pas le film du siècle, replace le spectateur dans une époque où on pouvait payer cher de sa vie ses convictions, par le verdict de la violence. Sans parler de la mort du très visionnaire président des Etats-Unis, si tant est que ce film puisse avoir (mais peut-on en douter?) quelques bases historiques certaines, Monsieur Guillebaud n'est sans doute pas sans connaîtrre la véhémence et la violence verbale, certes non dénuée d'esprit, avec laquelle on pouvait s' "étriper"dans un hémicycle. Doit-on également rappeler, plus proches de nous encore, les heures les plus dures de l'anticléricalisme qui ont encadré la période de séparation de l'Eglise et de l'Etat, où certains politiques hurlaient "à bas la calotte!" tandis que d'autres croassaient au passage de quelques soutanes. 
En ces temps là, où les convictions se faisaient parait-il plus fortes et plus documentées, ce n'était visiblement pas la douceur et la tendresse qui régulaient les rapports humains lorsqu'on était en désaccord, loin s'en faut ! Et il me semble surprenant qu'on puisse s'offusquer de ce que l'on ne sait que trop souvent s'apparenter au théâtre de Guignol.
Mais risquer la disqualification totale nécessite à mon sens deux choses: 
-être absolument irréprochable sur les règles du jeu que l'on a fixées, ce qui ne me semble pas être le cas de ce journaliste lorsqu'il s'abaisse à traiter ceux qui ne sont pas de son avis de "milliardaires incontinents", même si leur avis, on est bien d'accord, révèle une anthropologie de caniveau.
-prendre garde qu'une telle attitude ne dénote pas, au final un esprit de condescendance réactionnaire, qui surgit devant un je ne sais quel esprit du monde, révélateur du "tout fout le camp"; comme si on avait à faire à une génération de simples d'esprit qui n'ont rien compris à la vie et se fourvoient dans une post-modernité qui ne sait plus trop où elle va.
Et il me semble qu'on ne saurait tenir grief à nos élus qui doivent défendre des points de vue politiques dans l'hémicycle, de ne pas aborder le fond des choses sur les questions que le "mariage pour tous" a occasionnées et suscitent encore (PMA, GPA), bref de leur demander des développements qu'ils ne sont pas en mesure de faire. A ma connaissance, et après avoir examiné de nombreuses positions, dans le monde des médias, chez les intellectuels, mais surtout parmi les ténors de notre Eglise institutionnelle, nombreux sont ceux qui ont rappelé une position, mais rares sont ceux qui, finalement, ont su ouvrir des espaces de sens et proposer une conception cohérente sous-tendue explicitement par une philosophie et une théologie, sans même parler d'une vision au souffle prophétique, ce qu'on était en droit d'attendre de certains de nos pasteurs. A vrai dire, seuls quelques théologiens, sociologues ou philosophes chrétiens ou non, ont osé le faire. En lieu et place de cela, c'est bien plutôt la faiblesse de l'argumentation qui est à déplorer de la part de nos responsables d'Eglise, d'aucuns préférant ainsi céder à la peur et crier à l'apocalypse en tenant eux-mêmes des propos dont la violence n'a rien à envier à ceux que nous entendons en ce moment au Palais-Bourbon. 

La réaction, certes très affective et virulente d'une communauté homosexuelle injustement désignée pour l'occasion était alors compréhensible face à des ennoncés bien maladroits que celle-ci a pu, parfois, mal interpréter et par lesquels elle a pu se sentir exclue. Ce que nous voyons actuellement se jouer, c'est bien plus la stigmatisation d'un groupe de personnes qui ne demandent que leur droit à s'unir, mais qui n'y sont pour rien dans la tentative prométhéenne de l'homme se faisant maître de la vie et infléchissant par tous les moyens les imperfections de la nature et de la biologie. Cela a commencé bien avant le "mariage pour tous" jusque récemment dans les questions de bioéthique posées par la sexualite et la procréation humaine en général, qui n'attendaient visiblement que la stigmatisation sur une minorité pour apparaître scandaleux aux yeux d'une partie de la société affolée. Jusqu'à maintenant, pourquoi cela n'avait-il donc pas posé de problème aussi aigu et mobilisé des centaines de milliers de personnes à grand renfort du soutien des  responsables de l'Eglise ? Aux défis lancés par la bioéthique, on pourrait également évoquer la quête effrénée d'un  corps plastiquement parfait et la traque de ce que nos contemporains considèrent comme une défaillance de la nature. Qu'il me soit permis d'évoquer certaines dérives de la chirurgie esthétique, au Brésil ou en Argentine par exemple. Là-bas l'implantation de prothèses mammaires est un véritable effet de mode et semble révéler que celle que Ronsard appelait déjà "marâtre", a lésé la gent féminine en lui donnant de bien petits seins. 

Il faut sans doute chercher hors des sentiers battus de la politique politicienne de laquelle on peut dire avec Qohélet : "rien de nouveau sous le soleil", pour trouver quelques voix éclairées qui nous rappellent, de manière quasi prophétique,  ce qui doit nous tenir en éveil dans le tumulte des invectives : l'Evangile du Christ, à condition qu'on veuille bien sortir un instant d'un verouillage anthropologique, où le modèle matrimonial à juste titre proposé et soutenu excluerait obligatoirement un autre, et où la seule référence serait le prêt à consommer exégético-théologique de Genèse 1,27 [1]. L'argumentaire semble un peu court. Mais à qui veut bien se donner la peine, il y a certainement de quoi soutenir une réflexion profonde et nourrie, même si, pour ma part, j'ai pu regretter que l'esprit de réaction l'emporte à nouveau sur les voix qui ont effectivement quelque chose à dire sur une question anthropologique de cette ampleur.
Ce n'est donc pas à ceux qui hurlent le plus fort, qu'il faut tenir rigueur de l'affaiblissement des convictions, mais à ceux qui sont en charge de les porter; et l'on a beau jeu de chercher de la consistance là où ne saurait la trouver quand la société toute entière porte ses propres incertitudes et a besoin d'être non seulement éclairée, mais comprise et aimée plus que d'être jugée.

[1] : "Et Dieu créa l'homme à son image; il le créa à l'image de Dieu: il les créa mâle et femelle". (traduction liturgique de la Bible)