En guise de réponse à Monsieur Jean-Claude Guillebaud


Le hasard du calendrier veut que soit projeté sur les écrans le film "Lincoln" de Steven Spielberg, qui tout en n'étant pas le film du siècle, replace le spectateur dans une époque où on pouvait payer cher de sa vie ses convictions, par le verdict de la violence. Sans parler de la mort du très visionnaire président des Etats-Unis, si tant est que ce film puisse avoir (mais peut-on en douter?) quelques bases historiques certaines, Monsieur Guillebaud n'est sans doute pas sans connaîtrre la véhémence et la violence verbale, certes non dénuée d'esprit, avec laquelle on pouvait s' "étriper"dans un hémicycle. Doit-on également rappeler, plus proches de nous encore, les heures les plus dures de l'anticléricalisme qui ont encadré la période de séparation de l'Eglise et de l'Etat, où certains politiques hurlaient "à bas la calotte!" tandis que d'autres croassaient au passage de quelques soutanes. 
En ces temps là, où les convictions se faisaient parait-il plus fortes et plus documentées, ce n'était visiblement pas la douceur et la tendresse qui régulaient les rapports humains lorsqu'on était en désaccord, loin s'en faut ! Et il me semble surprenant qu'on puisse s'offusquer de ce que l'on ne sait que trop souvent s'apparenter au théâtre de Guignol.
Mais risquer la disqualification totale nécessite à mon sens deux choses: 
-être absolument irréprochable sur les règles du jeu que l'on a fixées, ce qui ne me semble pas être le cas de ce journaliste lorsqu'il s'abaisse à traiter ceux qui ne sont pas de son avis de "milliardaires incontinents", même si leur avis, on est bien d'accord, révèle une anthropologie de caniveau.
-prendre garde qu'une telle attitude ne dénote pas, au final un esprit de condescendance réactionnaire, qui surgit devant un je ne sais quel esprit du monde, révélateur du "tout fout le camp"; comme si on avait à faire à une génération de simples d'esprit qui n'ont rien compris à la vie et se fourvoient dans une post-modernité qui ne sait plus trop où elle va.
Et il me semble qu'on ne saurait tenir grief à nos élus qui doivent défendre des points de vue politiques dans l'hémicycle, de ne pas aborder le fond des choses sur les questions que le "mariage pour tous" a occasionnées et suscitent encore (PMA, GPA), bref de leur demander des développements qu'ils ne sont pas en mesure de faire. A ma connaissance, et après avoir examiné de nombreuses positions, dans le monde des médias, chez les intellectuels, mais surtout parmi les ténors de notre Eglise institutionnelle, nombreux sont ceux qui ont rappelé une position, mais rares sont ceux qui, finalement, ont su ouvrir des espaces de sens et proposer une conception cohérente sous-tendue explicitement par une philosophie et une théologie, sans même parler d'une vision au souffle prophétique, ce qu'on était en droit d'attendre de certains de nos pasteurs. A vrai dire, seuls quelques théologiens, sociologues ou philosophes chrétiens ou non, ont osé le faire. En lieu et place de cela, c'est bien plutôt la faiblesse de l'argumentation qui est à déplorer de la part de nos responsables d'Eglise, d'aucuns préférant ainsi céder à la peur et crier à l'apocalypse en tenant eux-mêmes des propos dont la violence n'a rien à envier à ceux que nous entendons en ce moment au Palais-Bourbon. 

La réaction, certes très affective et virulente d'une communauté homosexuelle injustement désignée pour l'occasion était alors compréhensible face à des ennoncés bien maladroits que celle-ci a pu, parfois, mal interpréter et par lesquels elle a pu se sentir exclue. Ce que nous voyons actuellement se jouer, c'est bien plus la stigmatisation d'un groupe de personnes qui ne demandent que leur droit à s'unir, mais qui n'y sont pour rien dans la tentative prométhéenne de l'homme se faisant maître de la vie et infléchissant par tous les moyens les imperfections de la nature et de la biologie. Cela a commencé bien avant le "mariage pour tous" jusque récemment dans les questions de bioéthique posées par la sexualite et la procréation humaine en général, qui n'attendaient visiblement que la stigmatisation sur une minorité pour apparaître scandaleux aux yeux d'une partie de la société affolée. Jusqu'à maintenant, pourquoi cela n'avait-il donc pas posé de problème aussi aigu et mobilisé des centaines de milliers de personnes à grand renfort du soutien des  responsables de l'Eglise ? Aux défis lancés par la bioéthique, on pourrait également évoquer la quête effrénée d'un  corps plastiquement parfait et la traque de ce que nos contemporains considèrent comme une défaillance de la nature. Qu'il me soit permis d'évoquer certaines dérives de la chirurgie esthétique, au Brésil ou en Argentine par exemple. Là-bas l'implantation de prothèses mammaires est un véritable effet de mode et semble révéler que celle que Ronsard appelait déjà "marâtre", a lésé la gent féminine en lui donnant de bien petits seins. 

Il faut sans doute chercher hors des sentiers battus de la politique politicienne de laquelle on peut dire avec Qohélet : "rien de nouveau sous le soleil", pour trouver quelques voix éclairées qui nous rappellent, de manière quasi prophétique,  ce qui doit nous tenir en éveil dans le tumulte des invectives : l'Evangile du Christ, à condition qu'on veuille bien sortir un instant d'un verouillage anthropologique, où le modèle matrimonial à juste titre proposé et soutenu excluerait obligatoirement un autre, et où la seule référence serait le prêt à consommer exégético-théologique de Genèse 1,27 [1]. L'argumentaire semble un peu court. Mais à qui veut bien se donner la peine, il y a certainement de quoi soutenir une réflexion profonde et nourrie, même si, pour ma part, j'ai pu regretter que l'esprit de réaction l'emporte à nouveau sur les voix qui ont effectivement quelque chose à dire sur une question anthropologique de cette ampleur.
Ce n'est donc pas à ceux qui hurlent le plus fort, qu'il faut tenir rigueur de l'affaiblissement des convictions, mais à ceux qui sont en charge de les porter; et l'on a beau jeu de chercher de la consistance là où ne saurait la trouver quand la société toute entière porte ses propres incertitudes et a besoin d'être non seulement éclairée, mais comprise et aimée plus que d'être jugée.

[1] : "Et Dieu créa l'homme à son image; il le créa à l'image de Dieu: il les créa mâle et femelle". (traduction liturgique de la Bible)



"Mariage pour tous", christianisme et homosexualité... Nous est-il demandé de concilier l'inconciliable ?



Un musée d'art à Kiev contient une curieuse icône provenant du monastère de Sainte-Catherine sur le mont Sinaï en Israël. Elle montre deux saints chrétiens en robe. On retrouve entre eux le traditionnel « pronubus » romain, surplombant un mariage. Le pronubus est le Christ. Le couple marié est composé de deux hommes.



Cher G,

Je viens de lire ton message expliquant tes intentions de fermer ton profil Facebook, et je voudrais simplement te dire pourquoi tu as bien fait de le laisser ouvert. Tu manifestes ta souffrance devant les contradictions que tu vis en ce moment à l’occasion de la promulgation de la loi sur « le mariage pour tous ». Je peux te comprendre ta lassitude étant moi-même souvent aux prises avec les mêmes oppositions entre la foi chrétienne et l’assomption pleine et entière d’une sexualité qui n’est pas celle de la majorité.  Les termes sont bien choisis lorsque tu parles d’un véritable « écartèlement ». En faisant le choix d’être chrétiens à part entière, et celui d’assumer pleinement et entièrement ce qui leur est demandé de vivre, les homosexuels sont très souvent dans la position d’un grand écart insoutenable et se demandent jusqu’à quand ils vont pouvoir tenir. Cela est d’autant plus aigu en ce moment qu’ils sont mis au défi par les deux pôles qui les pressent instamment de prendre position. Les chrétiens, plutôt « anti », pensent pouvoir annexer leur suffrage et leur parlent comme s’ils étaient des leurs, ce qui n’est d’ailleurs pas illégitime. Les gays n’en demandent pas moins en les rattachant d’office à des groupes partisans alors que leur position est sans doute plus nuancée qu’un simple « oui » sans condition.
Comme il serait facile de choisir de façon claire et tranchée en suivant l’un ou l’autre camp, et en faisant une entorse grave à ce qui les constitue essentiellement !
En ce moment plus qu’à nul autre sans doute, cette situation très inconfortable  les oblige à comprendre ce qu’ils sont, en opérant une herméneutique de la vie qui tienne compte des deux aspects sans pour autant les opposer mais en valorisant le sens qui leur est commun, celui de l’unité de la personne humaine et de l’appel auquel ils ont répondu. Ils savent que renoncer à ce que Dieu veut pour eux, vivre conformément à ce qui les constitue profondément, serait céder à la tentation de la fermeture.  C’est là, en effet,  qu’il leur montre précisément combien ils sont aimés et sont capables d’aimer. Le lieu de leur fragilité, si souvent déconsidéré et rejeté, fait d’eux des chrétiens à part entière et doit alors se faire signe, « signe de contradiction ». Quoi de plus appropriée pour définir la condition chrétienne que la croix transformée en arbre de Vie ?
Au fond j’imagine très bien la tension des chrétiens du temps lointain de Chalcédoine, aux prises avec un inconciliable : la double nature du Christ, « pleinement homme et pleinement Dieu ». A la fois pleinement chrétiens et constitutivement homosexuels, cela ne saurait être en eux, ni confondu, ni séparé.
Partager cette double condition devient alors une richesse et une chance. Par voie de conséquence, elle permet de pouvoir contribuer de manière positive à un débat qui se réduit pour l’instant à un affrontement idéologique calamiteux n’ayant rien à voir, ni avec la Révélation, ni avec l’ Évangile  Comme tu le dis, la Parole de la foi y est représentée soit par des radicaux, soit par des fanatiques dont l’enthousiasme pourrait être souvent assimilé à de l’idolâtrie (exemple de Frigide Barjot sensée être le porte-drapeau des « cathos cool et branchés »).
Je pense que la contradiction vécue par certains homosexuels chrétiens, certes parfois réelle et difficile, est aggravée par une mauvaise position du problème : ils mettent en situation des positions qui n’ont aucune chance de se rencontrer parce qu’elles appartiennent à des contextes et à des mondes différents, alors qu’ils savent très bien, au fond d’eux-mêmes, que la synthèse est spirituellement et existentiellement possible. Cela s’appelle l’ « historicité de la Révélation ».
Unir la foi et le mariage civil entre personnes du même sexe semble relever du tour de force, alors qu’il suffirait peut-être simplement de revenir, comme tu le suggères, aux fondamentaux de la foi chrétienne et de l’Évangile : « l'Amour que nous a enseigné le Seigneur ». La question n’est pas : « comment vais-je réconcilier les paroles de la Bible avec l’amour et le mariage entre personnes du même sexe ? », mais « comment vais-je vivre, moi-même, deux prises de position apparemment contradictoires, de manière pleinement assumée et libre, comme il m’est demandé de le faire par celui qui a déjà réalisé en moi cette unité et cette liberté ? »
Tu as donc bien fait de laisser ton profil ouvert : pour tenir ta place « pontificale » (de ‘’pont’’) à un moment où, comme tu le dis si bien, « deux camps», je dirais même deux fondamentalismes, s’affrontent. Concerné par les uns et les autres de ces protagonistes qui se mènent une guerre digne des pires moments de l’anticléricalisme, tu te sens loin de leurs méthodes, car ta voie est celle de la réconciliation intérieure et il t’est demandé, de manière quasiment prophétique, d’en être le témoin.


Revenir aux fondamentaux signifie renvoyer chacun non seulement à ses droits mais aussi à ses devoirs :

1- les chrétiens et plus particulièrement les catholiques : « avancer en eaux profondes » comme dit Jésus dans l’Evangile[1], afin de ne pas passer une fois de plus à côté d’un rendez-vous où une parole est attendue par bon nombre de femmes et d’hommes qui ont encore quelques raisons de croire et d’espérer. C’est en effet sur ce terrain qu’on aurait dû trouver des "militants", et c’est là qu’on les trouvera de toute façon (en particulier les prêtres)  lorsqu’il faudra gérer des situations pastorales particulières. Elisabeth Roudinesco [2] fait une remarque judicieuse : « Les Eglises s'adaptent finalement assez bien, quoiqu'elles en disent, à ce qu'est le mariage et son évolution au sens laïc ».
Même si cela doit interroger, voire défier la vision anthropologique déployée par la tradition chrétienne et le Magistère,  il s’agit tout d’abord d’en finir avec cet état d’esprit d’assiégés qui soutient que le « mariage pour tous » serait une catastrophe pour l’avenir de l’humanité. (Bien sûr, je ne parle pas ici de la PMA qui pose bien d’autres problèmes éthiques soulevés par les politiques de gauche eux-mêmes). Comme le dit si bien la psychanalyste précédemment nommée, « nous assistons plus à une évolution qu’à une révolution du mariage » [3]. Et qui semble ignorer, sinon ceux qui veulent nous faire peur, que le schéma traditionnel et majoritaire de nos sociétés est et restera celui du couple homme-femme ? N’est-ce pas d’ailleurs au nom de la protection des minorités par l’état que bon nombres d’hétérosexuels se déclarent en faveur du « mariage pour tous » ?
Nous savons aussi, même si les conséquences de l’union homosexuelle sont importantes pour l’anthropologie chrétienne traditionnelle, qu’une compréhension essentialiste de la « nature humaine » n’est plus tenable, y compris par la théologie catholique aujourd’hui. Le concept de « loi naturelle » doit faire l’objet d’une herméneutique ; là encore, « historicité ».
Prendre acte de l’existence du « mariage civil pour tous », dont l’avènement semble absolument inévitable dans nos sociétés contemporaines et recentrer le débat sur le sens, non théorique et métaphysique, mais vécu, de l’amour et de la sexualité, en accompagnant et guidant les couples, homos en l’occurrence, dans leur expérience de l’amour humain, serait une position bien plus audacieuse que celle du repli identitaire à laquelle nous assistons aujourd’hui dans la rue. Et Dieu sait si l’amour entre deux femmes ou deux hommes peut être fructueux mais en même temps sujet à la perversion comme toutes les choses les plus belles et les plus fragiles.
2- Dire cela c’est par conséquent renvoyer les gays, fortement représentés dans le débat par des fondamentalistes d’une autre espèce (certains groupes de l’inter LGBT par exemple) non seulement à leurs droits mais aussi à leurs devoirs : relever le grand défi auquel ils vont être désormais confrontés au même titre que les hétérosexuels : celui de l’amour humain et de l’exercice d’une sexualité responsabilisée vécue dans l’engagement et le mariage, car c’est aussi cela le mariage civil ! Et bien hypocrites sont ceux qui font semblant de l’oublier pour hurler avec les loups.
Je suis persuadé que les homos ont bien des choses à apporter dans le témoignage d’une vie amoureuse vécue dans la vérité. Cet apport, et ne le font-ils pas déjà dans certaines instances, ne serait-il pas précieux pour aider à comprendre le sens (y compris  théologique) de l’amour humain, alors que la société elle-même ne sait plus très bien à quoi correspond le mariage comme institution ?

Puissent ces quelques réflexions, qui ne prétendent pas épuiser le sujet, t’encourager, cher G, à laisser ton profil ouvert, à rester toi-même et à être simplement présent….

Je t’embrasse

Robert

11 décembre 2012

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[1] Luc 5,1-11

[2] Voir la vidéo de son intervention à la commission des lois sur : http://www.dailymotion.com/video/xv79wg_elisabeth-roudinesco-audition-a-la-commission-des-lois-sur-le-mariage-pour-tous_news
voir aussi l'interview dans le Monde de l'anthropologue Maurice Godelier : 
http://www.lemonde.fr/societe/article/2012/11/17/l-humanite-n-a-cesse-d-inventer-de-nouvelles-formes-de-mariage-et-de-descendance_1792200_3224.html


[3] Sur la même vidéo, cf. note 1
L'exposé suivant a été présenté suite à un cycle d'histoire à l'Institut catholique de Paris en Décembre 2006. Son titre résume son contenu et veut apporter une modeste contribution historique et non liturgique au débat qui accompagne le retour de la messe dite de Saint Pie V. Cette liturgie n'est en effet ni celle du concile de Trente, ni celle de Saint Pie V...
romulguée par la bulle « Quo Primum » le 14 juillet 1570, la messe dite "de saint Pie V" pose deux types de problèmes. Ces questions sont aujourd'hui ravivées par le très probable motu proprio de Benoît XVI d'élargir la possibilité de célébrer la messe selon le rituel de 1962 (dernier état de la messe dite « de Saint Pie V »). Nous pourrions nous attacher à faire une relecture historique de ce missel abandonné par la réforme liturgique du Concile Vatican II, et à débattre de son adéquation à la célébration dans une Eglise d'aujourd'hui. Nous nous attacherions en ce cas davantage au contenu, accomplissant par là un travail d'ordre liturgique. Nous avons cependant choisi de traiter un second type de problèmes qui ne sera pas sans implications pour la problématique d'aujourd'hui et les questions d'opportunité de remettre en valeur le missel de 1962:
Considérant le contexte historique dans lequel cette messe s'est développée et imposée, nous nous interrogerons sur l'opportunité de ses différentes appellations : Missel de Saint-Pie V, ou encore Missel du Concile de Trente. Nous verrons que cela ne va pas de soi et que l'appellation même de messe tridentine donnée à ce rituel pose problème.

Dans cet exposé, nous établirons une brève archéologie d'un missel qui puise ses racines au coeur même du Moyen-Age, avant de montrer comment il remplit parfaitement son rôle d'instrument de contre-réforme face à la problématique avancée entre autres par le protestantisme, puis nous examinerons dans quelle mesure le missel promulgué par Pie V est un instrument parfait de Réforme catholique parce qu'il s'impose d'autorité mais qu'il répond aussi à une attente. La conclusion tentera de répondre au problème que nous avons posé: le missel dit de Saint Pie V est un exemple emblématique de ce que fut la Contre Réforme catholique issue de Trente mais ce n'est ni la messe du concile de Trente, ni celle de Saint Pie V.

vant le concile de Trente, aussi loin qu'on puisse remonter dans l'histoire du Moyen-Age, c'est la diversité liturgique notamment en matière de liturgie eucharistique qui s'impose. Diversité est d'abord synonyme de liberté et de richesse. Chaque diocèse, chaque ordre religieux, possède ses sacramentaires et cérémoniaux qui sont bien souvent placés sous l'autorité des évêques.

Jusqu'au XIème siècle au moins, la messe se dit à l'aide d'un sacramentaire. Au XIIIème siècle, le missel apparaît pour tenter de canaliser une diversité grandissante qui va s'accentuer avec le grand schisme d'Orient, l'exil de la papauté en Avignon et la Renaissance . C'est ainsi que naissent des rites qui connaîtront encore au-delà du concile de Trente une grande renommée et qui existent encore de nos jours: rite ambroisien de l'Eglise de Milan, liturgie mozarabe des chrétiens vivant en Espagne (messe wisigothe), rite gallican en France, rite lyonnais, rite dominicain, rite romain, rite cartusien...

Pour des raisons politiques d'alliance avec le Saint-Siège, Charlemagne contribua à la diffusion des usages liturgiques romains, en officialisant le sacramentaire romain appelé Hadrianum, il sera presque partout en usage à la fin du XIème siècle.

En 1074, Grégoire VII, auteur de la réforme grégorienne1, demande aux évêques espagnols d'abandonner le rite mozarabe, soit disant source d'hérésie, au profit du rite romain. Le concile de Latran V verra lui aussi naître des demandes d'unification de la part des pères, et de nombreuses initiatives de conciles provinciaux tels que Bourges en 1529, les synodes de Sens et Paris (1528) tenteront de mettre en place des systèmes de contrôle de l'impression des missel et de l'unification provinciale de la liturgie. L'évêque de Vienne en 1543 adressera un mémoire à Paul III demandant l'unification romaine du missel sans toutefois exiger la disparition des autres rites particuliers.

Les papes au seuil du Concile de Trente, favoriseront également trois grandes tentatives d'unification liturgique.

On peut difficilement comprendre comment évolue la messe de la période gothique si l'on n'a pas présent à l'esprit les changements spectaculaires qui s'effectuèrent dans la perception que le peuple avait de l'Eucharistie ainsi que la place que la Réforme grégorienne avait faite à la personne du prêtre célébrant, soulignant ainsi le pouvoir sacré dont il était investi.

Les débats théologiques de la période scolastique allaient également élaborer une théologie de plus en plus pointue de la présence réelle dans l'hostie qui allait avoir une grande influence sur la liturgie, avec l'apparition notamment de l'élévation

La période gothique est une période de sacralisation au sens de séparation : séparation y compris géographique du peuple et des clercs par l'établissement des jubés, séparation ontologique des laïcs et des prêtres par leur fonction sacerdotale de rendre présent Dieu dans l'hostie.

Pouvoir sacré du prêtre et sacralisation de la présence réelle du Christ dans l'hostie allaient définitivement orienter laliturgie vers une conception uniquement sacrificielle de la messe.

La messe gothique devient un spectacle, le spectacle du sacrifice du Christ renouvelé et rendu présent dans l'Eucharistie, qui fait de celle-ci une véritable théophanie à laquelle le pleuple n'est que passivement associé.

Evoquons ici les célèbres représentations de la messe de Saint-Grégoire, nombreuses dans l'iconographie religieuse de cette toute fin de Moyen-Age, dont nous avons choisi un exemple (voir reproduction ci-contre), provenant du musée des Jacobins à Auch : Il s'agit d'une mosaïque réalisée en 1539 au Mexique selon des techniques ancestrales aztèques en plume, sous la direction des moines franciscains (nous verrons l'importance de ceux-ci pour la messe promulguée par Pie V).

L'oeuvre représente au moment de la consécration, le Christ apparaîssant au pape Grégoire le Grand sous les traits de l'homme des douleurs avec les instruments et figures de la passion. Dans cette théatralisation liturgique, l'hostie elle-même revêt un pouvoir miraculeux .

On veut voir l'hostie à l'élévation, on fait le tour des églises pour l'apercevoir le plus grand nombre de fois, on attribue à sa simple vision des vertus miraculeuses etc... déplaçant ainsi la messe vers la dévotion populaire autour du saint-sacrement, comme si le peuple des fidèles voulait s'approprier à nouveau quelque chose qu'il avait perdu dans la séparation.

« Gertrude reçut cette lumière : chaque fois que l'homme regarde avec amour et désir la sainte hostie, qui contient sacramentellement le Corps du Christ, chaque fois il augmente ses mérites pour le ciel; En effet, dans la vision de Dieu, il goûtera autant de délices spéciales qu'il aura de fois contemplé sur la terre le corps du Christ ou désiré au moins le voir. »
Révélations de Sainte Gertrude de Helfta (1256-1301) livre 4, ch.25. La diversité liturgique qui fleurit à la période gothique va donner lieu à des abus qui seront de plus en plus insupportables à la veille du Concile de Trente :
Le principal était la multiplication des messes votives très populaires (ex de la messe des cinq plaies du Christ ou la messe des douleurs et des joies de Notre-Dame), ou des messes destinées à solliciter une protection particulière: La messe de Clément VI de 1348 contre la peste noire ad mortalitatem evitandam, la messe contra calculum contre la maladie de la pierre, tant redoutée, la messe contre la vérole contra morbum. Existaient aussi les messes pour les défunts, et des séries de messes de toutes sortes, des messes gigognes, qui s'emboîtaient n'attendant pas la fin de la première pour commencer la seconde. Des messes en l'honneur de saints patrons de toute sortes supplantent le propre du temps liturgique.
Plusieurs messes étaient souvent célébrées dans une même Eglise dans une liturgie différente, malgré les tentatives infructueuses de certains pasteurs pour unifier les missels (Exemple de Nicolas de Cues évêque de Brixen 1455).

« J'étais une fois à Saint-Germain en Laye, où je remarquai sept ou huit prêtres qui dirent tous la messe différemment; l'un faisait d'une façon, l'autre d'une autre : c'était une variété digne de larmes. Or sus, Dieu soit béni de ce qu'il plaît à sa divine bonté remédier peu à peu à ce grand désordre. »

Vincent de Paul : Conférence du 23 mai 1659, Paris, Gabalda 1924.
Parfois des prêtres composent eux-mêmes des messes. Ainsi le témoignage de Jean de Varennes, curé de Saint-Lié dans le diocèse de Reims, qui compile quatre messe « avec l'aide de la grâce divine » à la fin du XIVème siècle.
A cela s'ajoutent des compositions de préfaces au contenu légendaire, des missels surchargés de prières et de cantiques divers, quand le prêtre n'entreprend pas de son chef la réforme du missel jusqu'à la suppression du canon !
1474 est la date de première impression du missel de la curie romaine bien plus ancien puisque nous en trouvons des traces manuscrites dès le IX ème siècle. Il servira en très grande partie de base d'élaboration à la commission commanditée par Pie V pour élaborer le missel.

Au départ, il différait de celui du diocèse de Rome ( liturgie romaine). Avec le bréviaire, plus réduit et plus souple, il était plus facile d'usage lors des déplacements nombreux de la Curie, la cour papale.

En 1223, François d'Assise adopte missel, bréviaire et ordo de la curie en vertu de l'allégeance qu'il voulu faire au pape. Ces livres liturgiques ont donc profité du formidable essor de l'ordre franciscain, passant de 30 000 religieux à la fin du XIIIème siècle, à 60 000 au début du XVIème. Les papes tels que Grégoire IX en 1241 ou Nicolas III en favorise la diffusion . De la curie, il devient franciscain pour être adopté par l'ensemble de l'église de Rome puis d'Avignon, et atteindre une popularité qui feront de lui avec le bréviaire, la base des livres liturgiques de la chrétienté, sans toutefois faire disparaître les autres rites.

uther remet en cause le caractère exclusivement sacrificiel de la messe gothique telle que nous l'avons vue dépeinte tout à l'heure : « La messe n'est pas un sacrifice, ni une oblation pour nos péchés; elle est seulement la commémoration du sacrifice accompli sur la croix. C'est métaphoriquement que les Pères ont pu l'appeler sacrifice : elle ne l'est ni proprement ni en vérité; elle est simplement le testament et la promesse de la rémission des péchés. Luther, Confession d'Augsburg.

Sur la forme aussi bien que dans le fond, nous savons que la critique de Luther est radicale. Dénonciation des liturgies grandioses et de la pompe, volonté de célébrer dans une langue qui peut être comprise, communion sous les deux espèces; autant d'éléments auquel s'opposera le Concile de Trente pour le simple fait que leur assertion émanait des protestants

« Dans la célébration des messes, toutes les cérémonies, vêtements et gestes extérieurs sont plutôt des dérisions de l'impiété que des honneurs pieux. Et, comme la messe du Christ fut fort simple, ainsi plus la messe est semblable et voisine de cette messe, la première de toutes, et plus elle est chrétienne. »

Luther : De Sacramento Panis

Le concile de Trente et plus tard la messe promulguée par Pie V ne cherchera pas un retour à l'équilibre qui engloberait toutes les dimensions de la messe : sacrifice, mémorial, acte communautaire; il s'inscrira bien plutôt en réaction au protestantisme, en réaffirmant des éléments théologiques et liturgiques antérieurs.

A l'assertion : « La messe n'est pas un sacrifice », le concile de Trente répond par un bouclier d'anathèmes. Voir la XXIIème session du 17 septembre 1562 : Doctrine sur le Très Saint Sacrifice de la Messe et le Décret disciplinaire qui suit.
Le Concile réaffirme en la précisant, la conception du sacerdoce issue de la réforme grégorienne : le Prêtre doit se distinguer du laïc et être son exemple par son comportement mais aussi par son habit, avec instauration de l'obligation de porter l'habit écclésiastique. Cette conception de rupture réaffirmée sera très nettement mise en application dans la messe de Saint Pie V, qui est comme nous l'avons dit une messe de séparation.
« Les Evesques avertiront donc les Ecclésiastiques, de quelque rang qu'ils soient, de montrer le chemin au Peuple qui leur est commis, par une vie éxemplaire, leurs paroles, & leur doctrine ; se souvenant de ce qui est écrit : Soyez Saints, parce que je suis Saint (Levit. 19. 2.) ; & prenant garde ussi suivant la parole de l'Apostre, de ne donner à personne aucun sujet de scandale (2. Cor. 6. 3.), afin que leur Ministere ne souffre point d'atteinte, mais qu'ils se fassent voir en toutes rencontres, comme de véritables Ministres de Dieu ; de peur que le mot du Prophete ne s'accomplisse en eux : Les Prestres de Dieu souïllent les lieux Saints, & rejettent la Loy (Ezech. 22. 26.) » Concile de Trente : Session XIV – Décret de Réformation, Introduction, 25 novembre 1551.
uand on parcourt les décrets du Concile, on est frappé de la rareté d'évocation du projet de réforme du missel alors que le problème revêt une importance et une urgence capitale pour l'unité de la foi elle-même. Les Pères ont abanonné cette tâche au Pape, le dernier jour du Concile.

Il faut aller voir les actes, et les notifications des commissions, pour comprendre combien cette question préoccupait les Pères, et comment au-delà du concile lui-même, la volonté de réforme était un souhait de l'Eglise toute entière.

Regroupons en 5 étapes ce qui relève du missel et de la messe au Concile de Trente:

1-Une deuxième « classe » (comité) regroupant l'expression de certains Pères le 1er Mars 1546 -dénonciation des abus et introductions diverses dans les missels -demande d'unification pour expurger les rituels -une petite minorité de Pères demande l'adoption d'un missel pour toute l'Eglise.

C'est à l'occasion de cette « classe » (comités) que l'évêque de Pienza, Alexandre Piccolomini, demande qu'on supprime du Missel des expressions incompréhensibles telles que « Kyrie Eleison », « Deus Sabaoth », « Alleluia » et propose une commission pour corriger les mots de ce genre...

2-On a connaissance d'une 1ère commission de novembre 1547 ayant pour but d'établir le catalogue des abus dans la célébration de la messe mais les actes du concile restent muets sur son travail. Entre temps les appels à la réforme et à l'unification émanent de partout déployant une palette de souhait d'uniformisation plus ou moins grande. Projets des Pères italiens, espagnols, allemands et français furent présentés au légat en parallèle aux débats officiels.
3-Les travaux de la XXIIème session sont de loin les plus importants au regard de la messe; la commission préparatoire dont nous avons les actes, dresse un catalogue « des abus concernant le sacrifice de la messe ». La remise du mémoire fait très clairement appel à l'unification de la liturgie tout en laissant place aux coutumes légitimes des provinces.

Ce projet jugé trop long et fastidieux ne fût pas débattu en Congrégation générale mais on en retint un compendium. Celui-ci fut débattu puis voté le 15 septembre 1562 à la suite du décret sur la messe, sous le titre : « ce que l'on doit observer et éviter dans la célabration de la messe ».

Enfin, pour ne laisser aucun lieu à la superstition, (les évêques) ordonneront par mandement exprés, sous les peines qu'ils jugeront à propos, que les Prestres ne disent la Messe qu'aux heures convenables ; & qu'ils n'admettent dans la célébration de la Messe aucunes autres pratiques, cérémonies, ni priéres, que celles qui ont esté approuvées par l'Eglise, & receûës par un usage loûable & fréquent. Ils aboliront aussi entierement dans leurs Eglises l'observation d'un certain nombre de Messes, & de lumieres, qui a esté inventée par une maniere de superstition, plûtost que par un esprit de véritable piété ...

Concile de Trente Session XXII, Décret touchant les choses qu'il faut observer et éviter pendant la messe.

4-Une source atteste l'existence d'une commission de juillet 1563 qui aurait pour objet la réforme du missel, mais on peut douter de l'existence de cette commission

5-Le denier jour du concile: à la XXVème session le 4 décembre 1563, on parle enfin du bréviaire et du missel pour en léguer aux pontifes la tâche de leur confection ainsi que celle du catéchisme.
L'index des livres interdits, le catéchisme, le bréviaire, le missel, la Vulgate, sont autant de chantiers commencés ou
évoqués à Trente, qui ont vu le jour après le concile.
Quelques raisons expliquent la nécessité d'en terminer avec le concile:
-sa longueur, les évêques souhaitant rentrer dans leur diocèse (en particulier le Cardinal de Loraine et les Pères français), ont-il « démissionné » de la tâche collégiale qui leur était assignée dans la réforme du missel?
-le Pape gravement malade, on veut éviter d'associer les Pères du Concile à un nouveau conclave.
Les Pères de Trente s'étaient en très grande majorité exprimés pour une unité dans la réforme des bréviaires et missels, sans toutefois renoncer à la prérogative qui était la leur, la possibilité d'une certaine souplesse locale de la liturgie de la messe.

Signer un blanc-seing au pape à la fin du concile, c'était bien entendu s'exposer à une tentative de centralisation et d'uniformisation de la part du souverain pontife, ce qui ne manqua pas d'arriver.

Le missel a été promulgué par la bulle « Quo Primum tempore » du 14 juillet dans laquelle Pie V nous explique qu'il a dû agir dans l'urgence pour mettre fin à une situation de chaos.Par une lettre de Charles Boromée au Cardinal Hosius, on apprend que Pie IV son prédécesseur préparait déjà une édition d'un missel. Sa mort en a empêché la publication. Pie V ne reprit pas le projet et convoqua lui-même une commission.

"Nous avons estimé devoir confier la charge d'éditer le Missel lui-même à des savants choisis; et, de fait, ce sont eux qui, après avoir soigneusement rassemblé tous les manuscrits, non seulement les anciens de Notre Bibliothèque Vaticane, mais aussi d'autres recherchés de tous les côtés, corrigés et exempts d'altération, ainsi que les décisions des Anciens et les écrits d'auteurs estimés qui nous ont laissé des documents relatifs à l'organisation de ces mêmes rites, ont rétabli le Missel lui-même conformément à la règle antique et aux rites des Saints Pères. "

Pie V:Bulle «Quo Primum Tempore»

Le pape présente le travail de cette commission comme un véritable travail archéologique, mais il ne faut pas faire d'anachronisme. La commission réunie n'avait pas la possibilité scientifique d'effectuer une recherche très poussée dans l'histoire de la liturgie, aussi n'est-il pas étonnant de retrouver à quelques différences près, notre missel romain de 1474.
Ces différences tiennent en: -un catalogue de rubriques extrêmement importantes puisqu'elles allaient être un facteur supplémentaire de la stabilité liturgique.
-l'élévation y est ajoutée
-l' « ite missa est » et le dernier évangile. En promulgant le missel de manière uniforme et rigide, Pie V outrepasse le devoir que lui avaient légué les Pères du concile puisque qu'il fixe la stricte observance du missel et n'autorise que les liturgies anciennes de plus de 200 ans; c'est à ce titre que pourront demeurer certains rites lyonnais, ambroisiens, jusque au XIXème siècle. Cette uniformisation a été favorisée par plusieurs éléménts: -une pression importante du pouvoir pontifical sur l'ensemble de la chrétienté par la teneur de certains textes eux-mêmes à commencer par la bulle :
"Par notre présente constitution, qui est valable à perpétuité, Nous avons décidé et Nous ordonnons, sous peine de notre malédiction, que pour toutes les autres églises précitées l'usage de leurs missels propres soit retiré et absolument et totalement rejeté et que jamais rien ne soit ajouté, retranché ou modifié à Notre Missel que nous venons d'éditer. Nous avons décidé rigoureusement pour l'ensemble et pour chacune des églises énumérées ci-dessus, pour les Patriarches, les Administrateurs et pour toutes autres personnes revêtues de quelque dignité ecclésiastique, fussent-ils même cardinaux de la Sainte Eglise Romaine ou aient tout autre grade ou prééminence quelconque, qu'ils devront, en vertu de la sainte obéissance, abandonner à l'avenir et rejeter entièrement tous les autres principes et rites, si anciens fussent-ils, provenant des autres missels dont ils avaient jusqu'ici l'habitude de se servir, et qu'ils devront chanter ou dire la Messe suivant le rite, la manière et la règle que Nous enseignons par ce Missel et qu'ils ne pourront se permettre d'ajouter, dans la célébration de la Messe, d'autres cérémonies ou de réciter d'autres prières que celles contenues dans ce Missel." Pie V : Bulle « Quo Primum Tempore ». -le rôle très important du contrôle de l'imprimerie de ce missel par Pie V lui-même, qui confie à Paul Manuce, imprimeur romain, le monopole de l'impression. Cette centralisation absolue était d'autant plus exorbitante que les églises devaient se procurer le missel dans les 6 mois. -l'abandon progressif spontané et parfois volontaire des rituels locaux pour des raisons financières (impression des manuscrits couteuse), volonté de réaliser une unité dans une confusion touchant bien souvent les églises locales elles-mêmes, la clarté et la cohésion du nouveau missel aidant.

i on s'en tenait à une observation de surface, on pourrait dire que la messe de Pie V n'est pas une messe tridentine car elle n'émane pas directement de la volonté des Pères du Concile, court-circuités par l'autorité pontificale. Nous pourrions également dire que ce missel puise ses racines au coeur même du moyen-âge et que par conséquent il n'a rien de tridentin.

Mais à y regarder de plus près, le missel de Saint Pie V est un instrument qui s'adapte parfaitement à la problématique présente dans l'Eglise bien avant le concile. Sa promulgation comme missel exclusif permet une réforme dans l'Eglise catholique et du même coup une réponse au protestantisme.

A ce titre nous dirions du missel qu'il est un instrument typique de la réforme catholique, une réponse en réaction. Alain Tallon citant Wolfgang Reinhardt dira de Trente qu'il est un « cas exemplaire de rénovation conservatrice ». Nous en avons dans le missel une parfaite illustration. On fait du neuf avec de l'ancien, mais en l'approfondissant et l'accentuant. « Le concile montre ici sa méthode favorite : répondre à des aspirations nouvelles en revivifiant de vieilles institutions, voire en les ressuscitant, quitte à les modifier ». Alain Tallon, Le Concile de Trente p.70.
Enfin, face à une quasi démission de la collegialité conciliaire le missel de Pie V se présente parmi d'autres éléments mis en place par les papes post-tridentins, comme un instrument indéniable de centralisation romaine, c'est une victoire du pouvoir du pape sur la collégialité représentée à Trente.
« Les décrets du concile ne prennent de l'importance que par cette prise en main pontificale, qui se traduit aussi par une centralisation bien éloignée de la volonté des pères conciliaires ». Alain Tallon, Le Concile de Trente p.83.
La Messe de Saint Pie V est donc bien une messe tridentine, au sens où tout ce qui fut tridentin finit par être réapproprié par le pouvoir romain.
Ainsi, le motu proprio annoncé par Benoit XVI pour la restauration du rite de Saint Pie V, ne pose pas uniquement un problème de contenu de la liturgie, (encore que cette messe appartienne clairement à un autre âge), mais il fait apparaître une question ecclésiologique déjà présente à Trente : le pape intervient directement dans ce qui relevait jusqu'à présent de la discrétion de l'ordinaire du lieu (l'évêque).
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Note:
1La réforme grégorienne comporte trois projets principaux:
-indépendance du clergé; les laïcs ne peuvent plus intervenir dans les nominations.
-réforme du clergé : instruction et imposition du célibat ecclésiastique.
-mise en place d'une structure centralisée autour de la papauté.